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Abus de position dominante

ABUS DE POSITION DOMINANTE



L’abus de position dominante qui figure à l’article 82 du Traité CE (ex article 86) est conçu comme un des instruments de la politique communautaire de concurrence (Communication de la Communauté Européenne du 2 mars 1998 au Groupe de travail de l’interaction du commerce et de la politique de concurrence). Cette politique corrective et dissuasive participe à la réalisation des objectifs fondamentaux que la Communauté Européenne a fixés en 1957 dans l’article 2 du Traité CE, au premier rang desquels la promotion d’un développement harmonieux et équilibré des activités économiques.

Le concept de domination s’est imposé pour saisir l’ensemble des rapports patents ou dissimulés entre dominants et dominés, en réaction aux conceptions classiques d’une économie pure où les relations se noueraient entre entités de force égale (F. Perroux , Esquisse d’une théorie de l’économie dominante, Economie appliquée n° 2-3, 1948). Le Traité C.E. n’emploie pas le terme de domination mais celui de position dominante. La première version du projet de rédaction de l’article 82 envisageait l’hypothèse du monopole résultant d’une répartition de marché, sans tracer de réelle frontière entre entente et exploitation de position dominante et sans se référer à l’abus (Archives du ministère des Affaires Etrangères de la République Française, doc. DE. CE. 602 réservé, section MAE 175f/56g, art. 42 al. 2 § a). La seconde version, laquelle envisageait l’exploitation abusive de position dominante, renvoyait à une interprétation extensive de la notion de monopole englobant oligopoles coopératifs et oligopoles dits restreints (Doc. CE. 606 réservé, section MAE 657 f/56mb, section MAE 29/56 pp 4-5, section MAE 547/56).

C’est sur la base de ces derniers travaux que le Comité des chefs de délégation a adopté le texte définitif de l’article 82 dont l’alinéa premier énonce qu’est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre états membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

L’article 82 du Traité CE est appliqué par la Commission européenne sous contrôle juridictionnel du Tribunal de Première Instance et de la Cour de Justice. L’article 54 de l’Accord sur l’Espace Economique Européen visant en des termes identiques l’exploitation abusive de position dominante qui affecte le commerce entre pays de l’AELE, la Commission européenne est compétente lorsque ce commerce et celui des Etats membres de la Communauté Européenne sont affectés (CJCE, avis 1/92 du 10 avril 1992, Rec. I p 592).

Les interdictions énoncées à l’article 82 étant posées aux entreprises de la Communauté Européenne, la Cour de Justice reconnaît un effet direct complet à cette disposition de droit originaire, quand bien même celle-ci resterait équivoque : les interdictions visent par leur nature même à produire des effets directs entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (CJCE, 30 janvier 1974, Sabam II, aff. 127/73, Rec. p 51, Att. 117). Les juridictions nationales disposent en conséquence d’une compétence concurrente à celle de la Commission mais le prononcé de dommages et intérêts reste de leur compétence exclusive.

Si le juge national, dans le cadre de la coopération administrative, peut recueillir des données factuelles non confidentielles auprès de la Commission, il lui appartient, dans le cadre de la coopération judiciaire, d’apprécier en pleine connaissance de cause la pertinence des questions de droit soulevées par le litige dont il se trouve saisi et la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement (CJCE, 30 avril 1986, Tarifs aériens, aff. 209/84, Rec. p 1425, Att. 10). Directement applicable à une ou plusieurs entreprises, et désormais appliqué de manière concomitante à l’article 81 (ex article 85), alinéa 3 compris, l’article 82 renferme une règle de droit matériel approximative. Certes, le texte pose une hypothèse déterminée sanctionnée par une interdiction. La définition des notions employées fait cependant défaut, comme l’incrimination qui doit être recherchée dans le Règlement d’application n°17/62 et dont l’article 15 érige les faits en infraction punissable d’amende.

Le processus de modernisation en cours des modalités d’application des articles 81 et 82 du Traité CE repose sur une politique de concurrence dissuasive, voulue efficace et décentralisée, conformément aux principes de subsidiarité. L’efficacité du réseau de coopération entre autorités communautaires et nationales prévues à cet effet demeure tributaire de la cohérence des règles de concurrence nécessairement claires et prévisibles (CJCE, 16 juin 1993, France c/ Commission, aff. C-325/91, Rec. 1993, p I-3303, att. 30 ; l’exigence de clarté et de prévisibilité de règles fait partie des principes généraux du droit communautaire dont la Cour de Justice assure le respect). La Commission et les juridictions communautaires ont progressivement satisfait à cette exigence dans le cadre du contrôle de l’exploitation d’une position dominante individuelle. La Commission concédait encore en 1998 que le droit continue d’évoluer à l’égard des circonstances dans lesquelles une position dominante collective se crée et est exploitée de manière abusive (Communication du 28 août 1998 sur l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications, JOCE-C 265 pt 76).

Ces circonstances ont été clarifiées depuis de manière incidente par le Tribunal de Première Instance (TPICE, 25 mars 1999, Gencor Ltd c/ Commission, aff.T-102/96, Rec. II p 759). Elles ont été précisées par la suite par la Cour de Justice dans ce qui semble désormais devoir être considéré comme un arrêt de principe (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge de transports SA, aff. C-395/96P et C-396/96P, Rec. I p 1442 ; CJCE, Ordonnance du 10 juillet 2001, Irish Sugar, aff. T-497/99 P encore non publiée). Dans la mesure où, cependant, l’imputation du détournement de l’acte d’exploitation reste encore à concilier avec la notion de dominance, il serait souhaitable de préserver la sécurité juridique des entreprises à travers les règles sectorielles exposées dans les communications et lignes directrices, appelées à se généraliser dans le cadre de la décentralisation projetée.

La notion de position dominante.

La notion de position dominante est définie comme une position de puissance économique permettant à une entreprise, individuellement ou conjointement avec d’autres, de se comporter dans une mesure appréciable de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et en fin de compte du consommateur (CJCE, 14 février 1978, United Brands Company et United Brands Continental BV c/ Commission, aff. 27/76, Rec. p 207 ; COM (2001)175, 28 mars 2001, Proposition du nouveau cadre réglementaire pour les réseaux et les services de communication électronique – projet de lignes directrices sur l’analyse du marché et le calcul de la puissance sur le marché, pts 62 à 77).

La Cour de Justice considérait depuis 1979 qu’une position dominante devait être distinguée des parallélismes de comportements propres aux situations d’oligopoles en ce que, dans un oligopole, les comportements s’influencent réciproquement, tandis qu’en cas de position dominante, le comportement de l’entreprise qui en bénéficie est dans une large mesure déterminée unilatéralement (CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, aff. 85/76, Rec. p 461, Att. 39).

Le Tribunal a infléchi cette jurisprudence en 1992 en affirmant qu’on ne saurait exclure par principe que deux ou plusieurs entités économiques indépendantes soient, sur un marché spécifique, unies par de tels liens économiques que, de ce fait, elles détiennent ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs sur le même marché (TPICE, 10 mars 1992, Societa Italiano Vetro SpA, Aff. T-68/89, T-77/89, Rec.p II-1403, pt 358). Le Tribunal a considéré par la suite la notion de position dominante également appliquable à un marché oligopolistique, sur le plan juridique ou économique, il n’existe aucune raison d’exclure de la notion de liens économiques la relation d’interdépendance existant entre les membres d’un oligopole restreint à l’intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées, ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché (TPICE, 25 mars 1999, Gencor préc., pt 276).

Ce point de vue a été conforté par la Cour de Justice qui estime qu’une position dominante collective pourrait résulter non pas seulement d’une entente mais également d’autres facteurs de corrélation et dépendrait d’une appréciation économique et, notamment d’une appréciation de la structure du marché en cause (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge de Transports, préc. pt 45).

Forte de cette jurisprudence, la Commission considère désormais que même si l’existence de liens structurels peut servir à la constatation d’une position dominante collective, une telle constatation peut aussi être faite en présence d’un marché oligopolistique ou très concentré dont la structure est de nature à entraîner des effets de coordination sur le marché en cause (Com (2001)175 préc. pt 85).

La position dominante, conçue par le texte de l’article 82 comme une condition préalable de l’abus, n’implique en principe aucun reproche en soi (CJCE, 9 novembre 1983, Michelin, aff. 322/81, Rec. p 3461, Att. 30 ; TPICE, 10 mars 1992, Verre plat préc. pt. 360 ; CJCE, 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge préc., Att. 37 et 38). Pratiquement, cependant, la constatation de l’existence d’une position dominante s’applique le plus souvent sur la preuve de son exploitation abusive. Les comportements indépendants, apanage des seules entreprises dominantes, et qui, comme tels, participent à la qualification de la position dominante, sont également saisis comme élément matériel de l’exploitation abusive.

Ceci est particulièrement manifeste dans le cadre de l’abus de dépendance économique. Dans les affaires ABG-Entreprises pétrolières et Magill, la Commission s’est attachée à apprécier dans le même temps le comportement abusif des entreprises fortes et l’absence de solutions alternatives, alors que la vérification de cette dernière, destinée en principe à établir l’état de dépendance économique, doit précéder comme telle l’examen des comportements (Décision ABG-Entreprises pétrolières opérant aux Pays-Bas du 19 avril 1977, JOCE L-117 ; Magill TV Guide du 21 décembre 1988, JOCE L-78).

L’application de l’article 82 est désormais envisagée ex post et ex ante, des lignes directrices indiquant à partir de la définition ex post les adaptations méthodologiques nécessaires à la définition ex ante (COM (2001)175 préc. pt 62).

Les autorités communautaires considèrent la position dominante au moins comme un état dangereux, vu son interférence avec la notion figurant dans l’article 2 § 3 du Règlement relatif aux concentrations entre entreprises (Règlement 4064/89 du 21 décembre 1989 modifié par le Règlement 1310/97 du 30 juin 1997, JOCE L-61 ; sont visés la création et le renforcement d’une position dominante).

La Commission avait consacré l’autonomie des deux notions à partir des considérants du Règlement (Décision du 22 juillet 1992, Nestlé-Perrier, JOCE L-356). La Cour de Justice n’a pas tardé à relativiser cette autonomie en refusant de démarquer position oligopolistique et position dominante l’une de l’autre (CJCE, 31 mars 1998, République française c/ Commission, aff. C-68/94 et C-30/95, Rec. p I-1453, pt 173).



L’application de l’article 82 ex post.

L’application de l’article 82 ex post suppose l’examen successif de trois éléments distincts : l’entité visée à la procédure, la détention par celle-ci d’une position dominante et, enfin, l’exploitation abusive de celle-ci (TPICE, 8 octobre 1996, Compagnie Maritime Belge Aff. jtes T-24,T-25, T-26 et T-28/93, Rec. p II-1201 ; Décision du 16 septembre 1998, Trans-Atlantic Conference Agreement/TACA, JOCE L-95 ; CJCE, 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge de Transports préc. att. 38 à 40).

1- L’assurance de l’exercice autonome d’une activité économique par l’entité visée à la procédure.

La notion d’entreprise qui figure au chapitre du Traité consacré aux règles de concurrence présuppose l’autonomie économique de l’entité concernée (CJCE, 25 novembre 1971, Beguelin, aff. 22/71, Rec. p 949 ; CJCE, 12 juillet 1984, Hydrotherm, aff. 170/83, Rec. p 2999). La Cour de Justice a transposé à l’article 82 la définition d’entreprise élaborée au titre de l’article 81 de manière fonctionnelle, c’est à dire selon le contexte de l’entreprise, eu égard la fonction que remplissent les règles de concurrence. La notion d’entreprise comprend ainsi toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de fonctionnement (CJCE, 23 avril 1991, Höffner, aff. C-641/90, Rec p 1979, att. 21).

Se trouve confirmée dans le même temps l’application de l’article 82 aux entreprises publiques et entreprises auxquelles l’Etat confère des droits spéciaux ou exclusifs, conformément à l’article 86 du Traité (ex article 90) (Décision du 1er février 1999, llmailulaitos, JOCE L-69). Sauf à considérer les fonctions régaliènnes et le fonctions présentant un caractère exclusivement social fondées sur le principe de solidarité nationale, la notion d’activité économique fait l’objet d’une interprétation extensive. Il s’agit en règle générale d’activités économiques de caractère industriel et commercial consistant à offrir des biens ou services. N’est pas considéré comme poursuivant une activité exclusivement sociale l’organisme à but non lucratif qui gère à titre facultatif un service d’assurance vieillesse, en complément d’un risque de base légale obligatoire et qui fonctionne selon le principe de la capitalisation (CJCE, 16 novembre 1995, FFSA, aff. C-244/94, Rec. p I-4013).

Il en va de même d’un fonds de pension fonctionnant selon ce principe et déterminant lui-même le montant des cotisations et des prestations (CJCE, 21 septembre 1999, Albany international, Aff. C-67/96, http://Curia). L’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt général au sens de l’article 86 reste soumise aux règles de concurrence tant qu’il n’est pas démontré que l’application de ces règles est incompatible avec l’exercice de sa mission (CJCE, 18 juin 1991, ERT, aff. Att. 37). Certaines des activités d’une entreprise peuvent relever du service général d’intérêt public, d’autres pouvant correspondre à une activité commerciale (CJCE, 25 février 1992, Procédure pénale c/ British gas, aff. C-116/91, Rec p 4071, Att. 7 et 14).

L’appréciation de l’organisation d’un groupe de sociétés et le rattachement ou non d’une filiale audit groupe peut modifier de manière notable la part de marché sur le marché en cause. L’évaluation de la part de marché d’une raffinerie de sucre est ainsi passée de 65 à 85 %, après que les autorités de concurrence ont considéré l’absence d’autonomie réelle de ses filiales (CJCE, 16 décembre 1975, Générale Sucrière, aff. 40/73, Att. 378, Rec.p ). C’est sur la base de ce dernier critère que la formation ou non d’une unité économique par le groupe de sociétés est appréciée (CJCE, 13 juillet 1966, Gründig, aff. 56/64, Rec p 429 ; CJCE, 24 octobre 1996, Viho, aff. C-73/95 P, Rec. p I-5487).

Au-delà de la détermination de l’applicabilité des règles de concurrence, la Commission s’emploie à restaurer une concurrence effective sur le Marché Commun en exerçant sa mission opératoire. Ceci la conduit à privilégier sur la définition fonctionnelle d’entreprise un " concept fonctionnel " d’entreprise destiné à palier l’absence de définition communautaire de groupe dénué de la personnalité juridique requise pour bénéficier des règles et garanties juridictionnelles correspondantes (Décision du 11 juin 1993, UER/Eurovision, JOCE L-179 ; décision du 30 janvier 1995, COAPI, JOCE L-122). Tel a été en particulier le cas, dans le cadre de l’article 81, des groupes multinationaux complexes, la décision adoptée par la Commission devant trouver un destinataire de choix (Décision du 13 juillet 1993, Carton, JOCE L-243 ; décision du 28 janvier 1998, Volkswagen-Audi, JOCE L-121).

En situation d’extranéité, lorsque la société mère est située dans un Etat tiers, le recours à la théorie de l’effet permet d’attribuer compétence à l’autorité de marché du territoire sur lequel l’acte produit des effets directs, quelque soit la localisation de l’accomplissement de l’acte (Décision du 1er juin 1964, Bentix Mertens, JOCE L-92). Est assimilé à effet à l’intérieur du Marché Commun la manifestation sur le marché commun de la mise en œuvre directe ou non de la volonté etxra-territoriale d’adopter un comportement anticoncurrentiel (CJCE, 14 juillet 1972, Matières colorantes, aff. 53/69, Rec. p 666). Les concepts d’unité de comportement entre société mère et filiale ou d’unité économique caractérisant les grands groupes structurés ont finalement été développés en complément de la théorie de l’effet (XIème Rapport sur la politique de la concurrence pour 1981). Pour la Cour de Justice, des deux éléments du comportement pouvant constituer une infraction à l’article 81 du Traité CE, l’élément déterminant est le lieu où l’entente est mise en œuvre (CJCE, 31 mars 1993, Pâte de bois, aff. jtes C-89/85 et s., Rec. p 5233, Att. 116). Le concept de comportement se trouve ainsi manipulé et segmenté en vue de trouver un segment se rattachant au territoire communautaire.

Les précisions apportées par la Cour de Justice dans l’affaire du Cartel du high tech du carton sur les modalités de rapprochement entre entreprises intéressent directement le caractère autonome de l’entité susceptible de commettre un abus de position dominante au titre de l’article 82 du traité CE.

En cas de dissolution et de vente d’actifs, la Commission considérait que la continuité fonctionnelle et économique entre l’entreprise ayant participé à l’infraction et l’entité acquise n’était pas assurée (Décision du 23 avril 1986, Polypropylènes, JOCE L-230.). La Cour de Justice a rappelé que tant que la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise existe au moment de la commission de l’infraction, la responsabilité du comportement infractionnel de l’entreprise suit cette personne morale, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction ont été cédé à des tierces personnes après la période d’infraction (CJCE, 16 novembre 2000, SCA Holding Ltd c/ Commission, aff.-297/98 P encore non publiée).

Dans le cadre d’une restructuration, la période antérieure à l’acquisition de la société auteur du comportement doit être distinguée de la période postérieure à cette acquisition. Pour la période antérieure à la restructuration, il incombe en principe à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise en cause au temps de la commission de l’infraction de répondre de celle-ci, même si l’exploitation de l’entreprise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction. S’agissant en revanche de la période postérieure à la restructuration, la responsabilité revient à l’acquéreur auquel incombe, es qualité de société mère, de prendre à l’égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite d’une infraction dont elle n’ignorait pas l’existence (CJCE, 16 novembre 2000, NV. Koninklijke NNPBT c/ Commission, aff. C-248/98 P). La mise en œuvre du raisonnement n’est pas aisée et rend des plus ténues la distinction entre position dominante individuelle et position dominante collective. La Commission a sanctionné dans l’affaire Irish Sugar l’exploitation abusive d’une position dominante de 1985 à 1995 par le producteur de sucre IS et/ou le distributeur SDL en considérant que, jusqu’en 1990, date à partir de laquelle IS acquiert la totalité du capital de la société mère de SDL, la position dominante était détenue de manière conjointe par les deux opérateurs à partir de liens structurels et commerciaux les unissant (Décision du 14 mai 1997 Irish Sugar, JOCE-L 258).

Le fait pour des entités de disposer en commun d’avantages concurrentiels leur fournissant la possibilité d’adopter des comportements indépendants dans une mesure appréciable, la Commission et les juridictions communautaires vérifient préalablement à l’appréciation de la position dominante la mesure dans laquelle les liens entre ces entités permettent d’exercer en commun une position dominante. Ces liens doivent être suffisamment importants pour permettre l’adoption d’une même ligne d’action sur le marché (CJCE 27 avril 1994, Commune d’Almelo, aff. C-393/92, Rec p 1477). Longtemps indéterminée, la notion de liens économiques a été progressivement précisée.

Les liens économiques peuvent s’inscrire dans une relation horizontale ou verticale (TPICE, 9 octobre 1999 préc. pt 63). Il peut s’agir de liens structurels qui ressortent du contrôle financier et/ou de comportement qu’une entité exerce sur une ou plusieurs autres entités. La désignation dans l’affaire Irish Sugar par l’entreprise productrice de la moitié des membres du conseil d’administration de l’entreprise distributrice et la tenue de réunions périodiques sur les prix entre les dirigeants respectifs ont été successivement considérées par la Commission et le Tribunal comme la traduction d’une nette convergence d’intérêts des deux entités par rapport aux tiers.

Les liens économiques peuvent être également quasi-structurels. Un accord, une décision ou une pratique concertée bénéficiant ou non d’une exemption de l’article 81 § 3 peut incontestablement, lorsqu’il est mis en œuvre, avoir pour conséquence que les entreprises concernées se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de manière qu’elles se présentent sur ce marché comme une entité collective (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge préc. Att.44 et 48). Une politique de prix tarifaires ou un arsenal disciplinaire, fréquents au sein des conférences maritimes, permettent à ces dernières de se présenter comme une seule et unique entreprise manifestant la volonté d’adopter une même ligne d’action sur le marché (Décision du 1er avril 1992, Comités franco-ouest africains, JOCE L-134 ; décision du 23 décembre 1992, Cewal, JOCE L-34 ; décision du 16 septembre 1998, TACA, JOCE.L-95).

La Cour de Justice se réfère encore à des facteurs de corrélation, notion qu’elle a dégagée sans la définir dans le cadre du contrôle des concentrations entre entreprises (CJCE, 30 mars 1998, République française c/ Commission préc.; CJCE 16 mars 2000, Compagnie Maritime Belge préc.).

La Commission attribue à ce terme le même sens que celui de comportements parallèles anticoncurrentiels (Com (2001) 175 préc.pt 85

2- L’établissement de la position dominante de l’entité visée à la procédure.

Il s’agit d’établir le pouvoir de marché de celle-ci dans un périmètre préalablement délimité et à l’intérieur duquel la concurrence qui s’exerce entre entreprises devient résiduelle.

Le pouvoir de marché, soit la capacité pour une entreprises ou un groupe d’entreprises agissant ensemble à fixer des prix supérieurs au prix de concurrence, sans qu’une éventuelle baisse des ventes puisse annuler la hausse des profits escompté, est directement fonction du taux d’élasticité de la demande (F. Fishwick, Definition of the relevant market in Community, Doc. COM 1986). La difficulté à mesurer exactement ce dernier ayant souligné les limites d’une représentation simplement théorique du pouvoir de marché, l’évaluation des parts de marché de l’entité visée et des principaux concurrents constitue seulement un indice sérieux de position dominante. Celui-ci doit être conforté par la mise en évidence d’avantages concurrentiels qui scellent l’autonomie de stratégie.

La définition adéquate du marché en cause s’impose aussi bien à la Commission qu’aux juridictions communautaires et nationales, ainsi qu’aux autorités nationales. Les juridictions communautaires, appelées à se prononcer sur les conditions de l’éventuelle annulation d’une décision, peuvent apprécier sur la valeur des éléments de preuve présentés par la Commission et les parties mais ne s’estiment pas habilitées à modifier la segmentation du marché retenue par la Commission (TPICE, 10 mars 1992, Verre Plat préc., pts. 318 à 320). Dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour de Justice fournit le cas échéant au juge national les critères nécessaires à la délimitation du marché. Afin d’apprécier la puissance effective de l’entité mise en cause, et de tenir compte de l’ensemble du contexte économique, la Cour de Justice ne se satisfait pas de l’examen des caractéristiques des produits en cause. Celui-ci doit être complété par l’analyse des conditions de la concurrence, de la structure de la demande et de l’offre sur le marché (CJCE, 9 novembre 1983, Michelin, aff.322/81, Att. 37, Rec. p 3461 ; CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak, aff. C-333/94 P, Rec. p I -5951, Att. 10).

S’inspirant de l’acquis jurisprudentiel, la Commission a réalisé en 1997 une synthèse des principaux critères susceptibles d’aider entreprises et praticiens du droit à mener à bien la délimitation du marché (Communication de la Commission sur la délimitation du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JOCE C-372). Le marché résulte d’une double segmentation ; un marché de produits et un marché géographique qui constitue le territoire à l’intérieur duquel les conditions de concurrence sont similaires. Le marché de produits comprend tous les produits ou services que le consommateur considère comme substituables en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l’usage auquel ils sont destinés ; une ou plusieurs entités ne sauraient exercer une influence déterminante sur les conditions de vente existantes si la clientèle est en mesure de se retourner sans difficultés vers des produits de substitution ou vers des fournisseurs implantés ailleurs. La substituabilité s’apprécie du côté de la demande à partir des tests d’élasticité croisée, de la préférence des consommateurs, de l’existence de barrières à l’entrée ou de l’importance des différentes catégories de clients, comme du côté de l’offre.

Il convient de prendre éventuellement en considération les produits ou services liés, soit les marchés connexes au marché sur lequel l’entité considérée exerce son hégémonie économique ; la position dominante établie sur le marché en cause peut être exploitée abusivement et produire des effets anticoncurrentiels sur un marché connexe (CJCE, 3 juillet 1991, Akzo, Rec. p I – 3359, Att. 37 et 43 ; CJCE, 14 novembre 1996 Tetra Pak préc, Att. 24). Reste encore à déterminer la zone géographique dans laquelle le produit en cause est commercialisé et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour pouvoir apprécier le jeu de la puissance économique de l’entreprise (CJCE, 14 février 1978, United Brands préc., Att. 11). Il est possible de se faire une première idée de l’étendue du marché géographique en se basant sur une vue d’ensemble de la répartition des parts de marché de ou des entités en cause et de leurs concurrents, ainsi que sur une analyse préliminaire de la fixation des prix et des écarts de prix au niveau national, communautaire ou de l’Espace Economique Européen. Dans les limites éventuellement déterminées par une réglementation nationale, la Commission considère en premier lieu l’ensemble des facteurs liés à la demande tels que les habitudes des consommateurs, la différenciation des produits et des marques ainsi que les courants d’échange, puis seulement les contraintes pesant sur l’offre. L’étendue du marché doit enfin coïncider avec une partie substantielle du Marché Commun, cette dernière notion pouvant correspondre selon les circonstances à un territoire national ou une juxtaposition de monopoles territoriaux limités, au marché de plusieurs Etats membres, à l’ensemble de la Communauté Européenne, et intégrer le territoire de pays membres de l’AELE.

Plus le marché est défini de manière étroite, et plus la part de marché apparaît importante. Il convient toutefois de relativiser le degré de domination individuelle de l’entité en cause en prenant en considération le degré d’inégalité relative existant entre celle-ci et ses concurrents, les parts de marché de ces derniers étant également calculées à partir du chiffre d’affaires correspondant aux produits concernés et vendus sur le marché pertinent.

Les sources d’information demeurent variées ; estimations propres des entreprises, études spécifiques réalisées par des sociétés de conseils et des fédérations professionnelles, ou bien informations livrées directement par les entreprises concurrentes. Pour les produits différenciés, les ventes sont en principes appréciées en valeurs et non en volumes. La spécificité d’un secteur et le caractère non différencié des produits conduisent de plus en plus souvent les opérateurs consultés par la Commission lors de l’élaboration de projets de lignes directrices à prévoir formellement la possibilité de raisonner en termes de volumes. Les données collectées font en principe l’objet d’un débat contradictoire en vue de leur appréciation. L’évaluation de leur valeur probante par la Commission peut être contestée devant les juridictions communautaires (CJCE, 13 février 1979 Hoffmann-La Roche préc. ; CJCE, 3 juillet 1991, Akzo préc. ; CJCE, Ordonnance du 10 juillet 2001, Irish Sugar préc.).

Le caractère vraisemblable de la domination supposée s’affirme lorsque l’entité concernée dispose d’une partie non négligeable du marché. La Cour de Justice considère que si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, on peut à juste titre, estimer que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elle même, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve d’une position dominante (CJCE, 13 févier 1979, Hoffmann-La Roche préc., att. 41) ; la possession d’une part de marché extrêmement importante met l’entreprise qui la détient pendant une période d’une certaine durée, par le volume et l’offre de production qu’elle représente, dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure tout au moins pendant une période relativement longue, l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante (Ibid, Att 60 et 86). Il est possible de dégager deux ordres de grandeur à partir de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence communautaire. La réalisation de 80 à 90 % du chiffre d’affaires du marché pertinent constitue un indice très sérieux de domination. Tel peut être encore le cas entre 80 et 60 % mais l’analyse doit être complétée par l’évaluation des parts de marché des principaux concurrents ; le degré d’inégalité relative entre les quatre premières entreprises constitue alors un indice valable (Décision du 4 novembre 1988, Sabena, JOCE L-317). Ces données chiffrées ne sauraient cependant refléter à elles seules la réalité du pouvoir de marché de l’entité en cause.

L’exercice d’une position dominante ayant pour objet ou pour effet de rendre la concurrence résiduelle, il convient de vérifier, à partir des caractéristiques du marché, la mesure dans laquelle les concurrents subsistants constituent ou non un réel contrepoids.

L’évaluation de la concurrence potentielle interne n’est pas sans intérêt. La Commission observe cependant en premier lieu si le pouvoir économique de l’entité en cause peut être efficacement contesté par de nouveaux concurrents. Elle est allée jusqu’à considérer que l’élimination de la concurrence pouvait avoir un impact économique plus fort que l’élimination de la concurrence effective ; tel est le cas lorsque l’existence d’une concurrence potentielle constitue l’une des principales justifications de l’exemption par catégorie dont les entités en cause ont bénéficié (Décision du 16 septembre 1998, TACA préc.). La Commission évalue l’intensité de la concurrence externe essentiellement à partir de la nature et de l’importance des barrières à l’entrée d’un marché. De fortes capacités techniques et industrielles dissuadent sur le long terme les concurrents d’accéder au marché (CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak préc.). Tel est également le cas lorsqu’un opérateur se montre capable de répondre en permanence à la demande, ou lorsque celui-ci contrôle les importations de manière indirecte.

La détention d’une position dominante impliquant une certaine stabilité, il ne saurait être fait économie d’une analyse prospective, soit une analyse des orientations prévisibles du marché sur le long terme. La propension de l’entité en cause à empêcher d’autres concurrents d’accéder à la demande supplémentaire dans un contexte de croissance économique, à maintenir sa marge globale dans un contexte de récession, ou à renforcer sa position dominante de par l’accès des concurrents à un marché parvenu à maturité, constitueront autant d’indices susceptibles de conforter l’existence d’une position dominante.

Les indices relatifs à l’entité en cause elle-même demeurent des plus pertinents, en particulier lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence d’une position dominante collective ; la communauté d’avantages concurrentiels et la gestion de celle-ci déterminent pour l’essentiel l’autonomie de stratégie de marché de l’entité commune dans le temps et dans l’espace. Constituent des atouts majeurs, en dehors de l’accès au marché financier international, les avantages techniques et industriels généralement protégés et complétés par des avantages commerciaux, qu’il s’agisse de l’étendue d’une gamme de biens et services offerts, de la qualité ou de la notoriété d’une marque.

A même d’adopter un comportement indépendant en termes de prix, de qualité ou d’exclusivité, l’entité concernée est susceptible et/ou supposée adopter celui-ci de manière abusive.

3 – Le contrôle des conditions dans lesquelles l’entité en cause aurait exploité sa position dominante de manière abusive.

L’article 82 alinéa second énumère quatre formes d’abus dont l’interdiction reste motivée par l’affectation du commerce entre Etats membres : la pratique de prix inéquitables, la limitation de production ou de débouchés, les pratiques discriminatoires et les ventes liées. Fruit d’une lente construction prétorienne, l’abus de position dominante s’insère dans la théorie générale de l’abus de droit qui, une fois adaptée au système de concurrence, rend délicate l’imputation du détournement de l’acte d’exploitationde position dominante.

L’exploitation abusive de position dominante est une notion souvent supposée sui generis ; une notion juridique indéterminée, inclassable, qui englobe des faits matériels hétérogènes et qui ne correspond à aucune réalité économique (E. Kantzenbach et J. Kruze, Kollektive Machktbeherrschung, das Konzept und seine Andwendbachkeit für die Wettbewerbspolitik, OPOCE 1987 p 14). Pour certains, l’abus de position dominante se distingue de l’abus de droit en ce qu’il ne constitue pas per se l’exercice abusif d’un droit mais plutôt l’utilisation abusive d’un pouvoir sur le marché (S. Karayannis, L’abus de droit découlant de l’ordre juridique communautaire, Cahier de droit européen 2000, p 526 ; Waelbrorck, Frignani, Commentaires Megret, vol. 4, 1997, pp 253 et s). En fait, la notion peut être conçue de deux manières selon qu’est privilégiée une méthode d’interprétation grammaticale du texte ou une méthode d’interprétation téléologique : dans le cadre de la première méthode, on en arrive à exiger un comportement moralement répréhensible, une faute intentionnelle ou un dol, tandis que la seconde mène à une objectivation de l’abus et à l’élimination de tout élément de faute (J. Van Damme, Semaine de Bruges 1977, Conclusions générales, p 570).

La doctrine américaine Alcoa élaborée en 1945, et selon laquelle la détention d’un pouvoir de monopole cesse d’être légale indépendamment des moyens par lesquels l’entité visée acquiert ou maintient ce monopole, avait encouragé les autorités communautaires ne disposant pas de contrôle des structures ad hoc à faire céder le lien de causalité entre la position dominante et l’exploitation abusive (Mémorandum de la Commission CE sur la concentration dans le marché commun, 1er décembre 1965 ; CJCE 21 février 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. p 215, Att. 27). Encore utilisée pour sanctionner efficacement le renforcement de position dominante sur des marchés connexes, cette jurisprudence demeure une jurisprudence de circonstance.

La Cour de Justice s’est employée à ne pas se laisser enfermer dans le " mouvement structuraliste " en réintroduisant dès 1979 une condition de comportement dans la définition de l’exploitation abusive. Elle a certes considéré dans l’arrêt Hoffmann-La Roche la notion de manière objective en visant les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure su marché, où à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli mais elle a affirmé dans le même temps que le comportement de l’entreprise en position dominante devait avoir pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de produits ou services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (CJCE 13 févirer 1979, Hoffmann-La Roche préc. Att 90 et 180 ; TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar préc. pt 111). Pour déterminer la frontière entre la normalité et l’anormalité du comportement, l’anormalité du comportement se trouvant caractérisé seulement lorsque l’action de l’entreprise dominante dépasse ce qui est nécessaire à la protection de ses intérêts légitimes, le juge communautaire adopte la règle de raison fondée sur la notion de proportionnalité (CJCE 14 février 1978, United Brands préc. Att. 189 et 190).

Tout en se voyant reconnaître le droit de réagir à la concurrence dans une mesure raisonnable, l’entreprise dominante voit peser sur elle une obligation particulière de vigilance à l’égard de la structure de concurrence. La conjonction de ce droit et de cette obligation renvoie directement à la théorie de l’abus de droit. La doctrine s’est d’ailleurs mise très tôt en quête d’une norme de référence de laquelle l’entreprise dominante était susceptible de se détourner en exerçant le droit qui lui est reconnu d’exploiter sa position sur le marché en cause (J-P Dubois, La position dominante et son abus dans l’article 86 du Traité CEE, 1968, p 255).

Le concept d’abus de droit s’adapte aisément à la notion économique d’abus de position dominante de l’article 82 en conservant ses deux caractéristiques ; d’une part, sa souplesse qui permet une grande adaptation aux situations économiques et en particulier à la notion communautaire de concurrence de l’article 3f) CEE et à la variété des critères qui le composent ; d’autre part, son imprécision qui empêche une définition précise de l’exploitation abusive de position dominante (B. Marceau-Welschinger, L’abus de position dominante en droit communautaire, thèse paris I, Direction Gavalda, 1991, p 415).

La Cour de Justice n’y a pas été insensible. En considérant dans l’arrêt Michelin qu’indépendamment des causes de sa position dominante, il incombait à l’entité visée une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun, le juge communautaire vise directement le fait pour le titulaire de la position dominante de détourner celle-ci de sa finalité, soit la défense de ses intérêts face à une concurrence résiduelle mais effective (CJCE, 9 novembre 1983, Michelin préc. Att. 5). Le détournement du droit d’exploitation de position dominante de sa finalité apparaît depuis de manière constante dans la jurisprudence de la Cour de Justice et du Tribunal (TPICE, Tetra Pak préc. att. 114 ; TPICE, Cie Maritime Belge de Transports, 8 octobre 1996, pt. 106).

La référence expresse à la notion de responsabilité retient attention en ce qu’elle rappelle un courant particulier de la théorie finaliste de l’abus de droit qui, sans exiger la preuve d’une attention de nuire, retient la notion de faute, une imprudence ou une simple négligence pouvant suffire. Ce courant semble s’adapter au mieux à l’évolution d’un droit économique qui, comme le droit de la concurrence, s’attache davantage aux faits qu’aux intentions et s’intègre parfaitement entre les mouvements " structuralites " et " comportementalistes " empruntés par le système communautaire.

L’évocation de la responsabilité suppose toutefois le règlement préalable de l’imputabilité du comportement, alors que le principe de légalité n’a pas encore en principe droit de cité en droit communautaire.

Certains avocats généraux portés par la doctrine ont abordé le problème de l’imputabilité sans le nommer directement au cours des années soixante-dix en posant la question de savoir comment un ou plusieurs opérateurs pouvaient rendre compte de leur comportement, compte tenu notamment des liens les unissant. La Cour de Justice n’hésite plus désormais, dans le cadre de l’article 81 du Traité CE, a poser clairement le problème de l’imputabilité des comportements afin de vérifier la mesure dans laquelle les destinataires des décisions de la Commission ont été atteints à bon droit (CJCE, 16 novembre 2000, Cartel du High Tech du Carton préc.).

L’imputation de la responsabilité d’un comportement suppose que soit établi le lien de causalité entre le dommage subi et le fait générateur. Dans le cas d’une exploitation abusive de position dominante, le texte de l’article 82 identifie le dommage à l’affectation du commerce entre Etats membres qui fait directement référence à l’établissement et au fonctionnement d’un Marché Commun basé sur la concurrence effective, soit la norme supérieure de laquelle l’acte d’exploitation est susceptible d’être détourné. L’acte de détournement constitue précisément le fait générateur, étant entendu que, en principe, l’acte d’exploitation reste en lui même strictement conforme à ce droit. Si la nuance semble aller de soit au regard de l’opérateur considéré individuellement, elle cesse d’être évidente, sitôt considérée la pluralité d’opérateurs.

Le standard jurisprudentiel d’obligation particulière de vigilance reste directement lié au pouvoir de marché. Lorsque celui-ci résulte d’une autonomie de stratégie ressortant de la gestion de la communauté d’avantages concurrentiels par plusieurs entités, la responsabilité particulière de vigilance apparue avec le caractère résiduel de la concurrence se transporte sur la tête de l’ensemble des opérateurs pour y recouvrir la forme d’une obligation positive de vigilance. L’exercice du contrôle sur une pluralité d’opérateurs aurait ainsi pour effet de réduire l’amplitude existant entre l’acte de détournement et l’acte d’exploitation, tout se passant comme si le dommage était réalisé de manière anonyme au sein de l’entité commune.

Seuls les critères mettant en exergue l’organisation interne de l’entité visée devraient permettre de déterminer de manière précise la responsabilité et dégager des sanctions éventuellement individualisées. Cette analyse pouvant mener à l’impasse dans le cas de comportements seulement tendanciels, le Tribunal de Première Instance considère de fait que si l’existence d’une position dominante collective se déduit de la position que détiennent ensemble les entités économiques sur le marché en cause, l’abus ne doit pas nécessairement être le fait de toutes les entreprises en question. Il doit seulement pouvoir être identifié comme l’une des manifestations de la détention d’une telle position dominante collective. Par conséquent, des entreprises occupant une position dominante collective peuvent avoir des comportements abusifs communs ou individuels. Il suffit que ces comportements abusifs se rapportent à l’exploitation de la position dominante collective que les entreprises détiennent sur le marché (TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar, préc. pt 66).

L’analyse de l’organisation interne de l’entité collective paraît pourtant bien la seule à même d’assurer la prévisibilité de la mise en œuvre des articles 81 et/ou 82.

Dans le cas du groupe de sociétés dont l’existence est établie à partir de critères non pas seulement structurels et financiers mais également comportementaux, il conviendrait de distinguer deux hypothèses. Si le critère de comportement confirme seulement le caractère effectif d’une unité de direction sur le marché au profit d’un chef de file, qui seul tire profit de l’activité économique exercée, c’est à ce dernier seulement que devrait incomber la charge d’assumer les risques découlant pour autrui d’une telle activité. Evoquer en pareille hypothèse l’exploitation abusive d’une position dominante conjointe pourrait satisfaire aux exigences de clarté et de prévisibilité.

Si le critère de comportement préside à la mise en place d’une politique de coordination au profit de l’ensemble des sociétés, la responsabilité serait assumée par l’ensemble des sociétés, à l’image des entités quasi-structurellement liées ayant adopté une politique de coordination définie a priori, soit le groupe d’entreprises stricto sensu.

A l’égard du groupe d’entreprises, la pratique décisionnelle et la jurisprudence ont hésité dans un premier temps à cumuler contrôle des ententes et contrôle des dominations. Les auteurs du Traité CE n’ayant conféré aucune spécialisation à l’un ou l’autre des articles 81 et 82, le principe d’une applicabilité concomitante des deux textes allait d’autant plus s’imposer que tout risque de contrariété entre les articles 81 § 3 et 82 se trouve désormais écarté (TPICE, 10 juillet 1990, Tetra Pak, aff. 51/89, Rec. p 2329, pt 41). L’exploitation abusive d’une position dominante acquise par le biais d’une entente bénéficiant d’une exemption individuelle ou catégorielle continue de faire l’objet de l’interdiction absolue posée par l’article 82, disposition originaire du Traité (Décision du 16 septembre 1998 TACA préc., pts 550 et 585 ; CJCE, Cie Maritime Belge de Transports préc. Att. 44). La cohérence du contrôle double ainsi mis en place est renforcée par l’extension à l’article 81du Traité CE du régime d’exception légale (Proposition de règlement de modernisation des règles d’application des articles 81 et 82 du Traité CE, 27 septembre 2000, http://europa).

L’exploitation abusive de la position dominante acquise par le biais d’une entente relève d’une matérialité multiple, la thèse du concours idéal d’infractions soutenue un temps par la Commission ayant été formellement rejetée par le Tribunal de Première Instance (TPICE, Verre Plat préc. pt 348 et 360). L’infraction, réalisée par l’adoption de deux comportements successifs matériels différents, ne constitue pas une infraction complexe continue, à défaut de finalité unique et compte tenu de l’autonomie juridique des articles 81 et 82 du Traité CE.

La Cour de Justice avait seulement suggéré les paramètres du contrôle à mettre en œuvre dans le secteur des transports aériens (CJCE, 11 avril 1989, Ahmed Saeed, aff. 66/86, Rec. 1989 p 803). La Commission a précisé celles-ci à l’occasion de procédures engagées dans le secteur des transports maritimes (Décision du 1er avril 1992, Comités armatoriaux franco-ouest africains préc. ; décision du 23 décembre 1992, Cewal préc.). Cette pratique décisionnelle traduit une indécision au regard de l’imputation du comportement abusif. Dès lors en effet que plusieurs entreprises prennent ensemble le risque d’adopter un comportement ayant pour objet d’éliminer la concurrence interne au groupe, ce dernier ayant seulement mais également pour effet de limiter la concurrence externe, les entreprises assument en principe le risque de restreindre davantage la concurrence résiduelle sur le marché en cause de manière collective. Amendes. Dans l’affaire des comités armatoriaux franco-ouest africains, la Commission n’a pas vérifié précisément la mesure dans laquelle la responsabilité des entreprises se trouvait collectivement engagée avant de cumuler les. Dans l’affaire Cewal, l’exemption de certains membres de la conférence de toute sanction pécuniaire, au motif qu’elles n’avaient tiré aucun avantage des pratiques mises en œuvre sur la base de la position dominante collective, demeure en contradiction avec une jurisprudence constante selon laquelle l’absence de bénéfice de l’infraction ne fait pas obstacle à l’imposition d’amendes.

La Commission a exposé en 1998 une véritable méthode pour la calcul des amendes (Lignes directrices pour le calcul des amendes en application de l’article 15 § 2 du Règlement 17/62 et de l’article 65 § 5 du Traité CECA, JOCE-C 9). Elle a rapidement appliqué cette méthode de manière dissuasive dans l’affaire TACA. Après avoir démontré la complexité de la puissance économique de quinze compagnies maritimes convenues d’un accord de conférence, la Commission a relevé la gravité des comportements, compte tenu de la responsabilité particulière de vigilance qui leur incombait à l’égard de la concurrence résiduelle existant à la formation de la conférence. Le montant de l’amende a été modulé en fonction de la taille des meneurs, avant application d’une majoration de 25 % en considération de la durée de l’infraction. La Commission a justifié avec raison la rigueur des sanctions tant par l’importance du dommage causé à l’économie que par la capacité économique effective des entreprises à créer le dommage (XXVIIIéme Rapport sur la politique de concurrence pour 1998, § 105).

L’imputation de l’exploitation abusive d’une position dominante par les entreprises membres d’un oligopole restreint n’a pas encore fait jurisprudence, le Tribunal de Première Instance et la Cour de Justice ayant seulement suggéré les termes de l’imputabilité. Sauf à raisonner en termes d’abus de structures, comme les deux juridictions communautaires l’ont fait de manière respective dans les arrêt Irish Sugar et Compagnie Maritime Belge de Transports, l’imputation paraît difficilement réalisable dans le strict respect du droit communautaire.

Il existe une contradiction manifeste entre le caractère inconditionnel de l’interdiction, d’applicabilité directe, et le caractère équivoque de la règle de l’article 82, appliqué de manière exclusive. L’équivoque ressort de l’antinomie persistante entre la rigueur du contrôle mis en œuvre à des fins dissuasives et le caractère tendanciel des comportements adoptés sur le marché en cause, la première ne permettant pas de saisir la réalité des seconds. Déterminer la mesure dans laquelle les entreprises oligopolistiques détournent l’acte d’exploitation de leur position dominante de sa finalité suppose en effet une définition adaptée de la norme de référence. Le Tribunal de Première Instance invoque désormais une " concurrence par les mérites " (TPICE 7 octobre 1999, Irish Sugar, préc. pt 111). D’une manière générale, c’est la notion d’affectation du commerce entre Etats membres qui est pratiquement devenue référence, notion dont l’interprétation toujours plus large réduit de manière considérable l’amplitude entre l’acte d’exploitation et l’acte de détournement.

Dans l’impossibilité d’invoquer une exemption et de justifier d’un comportement considéré de prime abord offensif, les entreprises tomberont sous le coup d’une interdiction en dépit de l’absence de clarté de la règle.

La possibilité d’expliquer le comportement adopté en le restituant dans le contexte du secteur d’activité concerné contribuerait de manière utile à restaurer la sécurité juridique. Non intégrée à la proposition de règlement portant modernisation des règles d’application des articles 81 et 82 du Traité CE, une telle possibilité serait la bienvenue dans les lignes directrices à venir de la Commission.

Il paraît évident que la mise en œuvre du contrôle de l’abus de position dominante, instrument de politique de concurrence voulu efficace, laisse une place de plus en plus réduite au droit. La position dominante, conçue à l’origine comme une simple présupposition, n’implique en principe aucun reproche en soi mais l’appréciation préalable de l’autonomie de l’entité visée anticipant, sinon préjugeant en elle-même de l’appréciation de l’indépendance de comportement, et l’interférence grandissante entre la notion de l’article 82 et la notion de position dominante du règlement 4064/89 tendent pratiquement à faire de la position dominante un état éminemment dangereux pour la concurrence conçue désormais en termes de mérites. Cette perception de la position dominante coïncide avec la résurgence de l’abus de structure destinée à surmonter les difficultés d’imputation des comportements adoptés sur certains marchés, au premier rang desquels les marchés en cours de libéralisation étroitement surveillés par la Commission.

Cette évolution s’inscrit plus largement dans le mouvement de modernisation des règles communautaires de concurrence, celui-ci laissant une place de choix à l’appréciation économique. La réforme a essentiellement attiré l’attention sur l’extension à l’article 81 du Traité CE du système d’exception légale. L’effet mécanique produit par la suppression du régime de notification préalable des ententes et le renforcement annoncé des pouvoirs d’investigation de la Commission devraient pourtant inciter également les entreprises dominantes à une grande prudence.

Ecrit par Nungesser, le Lundi 22 Août 2005, 16:03 dans la rubrique "U2 - CONC'".
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